Famadihana, exhumation rituelle ou … retournement des morts

J’ai eu l’idée de ce billet à la lecture de celui de Corinne du blog Couleur Café

L’hiver arrive donc et apporte son lot de fêtes dont beaucoup sont propres à nos coutumes. L’exhumation rituelle ou retournement des morts en est l’une des principales.

Rappelons que la relation des Malgaches avec la mort et les parents déjà partis est assez particulière. On considère que nos ancêtres veillent sur nous. Ainsi, ils ne sont jamais vraiment partis. On leur rend hommage périodiquement en recouvrant leur corps physiques de nouveaux linceuls. Tout un rite entoure la cérémonie proprement dite.

Le famadihana ou exhumation rituelle n’a pas lieu tous les ans, mais périodiquement (ex: tous les 5 ou 10 ans) Toute la famille se cotise pour couvrir les dépenses. Tout commence quand le patriarche fait un rêve laissant comprendre que les razana (les gens déjà partis) ont froid. Le signe courant est de rêver d’un défunt demandant d’acheter une couverture ou disant carrément qu’il a froid.

©Hery Zo Rakotondramanana

La fête (oui c’est une fête) se déroule sur deux jours où une fanfare (mpitsoka mozika)  animent le village de musique traditionnelle au son de divers instruments. Avant le jour J, les alentours du tombeau sont débarrassés des mauvaises herbes. Un espace assez grand est nécessaire pour les festivités et le tombeau est repeint pour faire bonne figure face aux invités. Ceux-ci ne sont autres que la famille, les amis et les habitants des villages alentours.

©Chronowizard

Le premier jour, les invités arrivent au village pour manger. Ils sont installés dans des espaces clos (en général, à ciel ouvert) dont les murs sont réalisés avec des branches et des planches. Des planches solides font offices de bancs et de tables. On sert du vary be menaka. Littéralement, cela veut dire « des plats très gras » En fait, le repas est constitué évidemment de… de???? Si vous suivez ce blog depuis un moment, je n’ai même pas besoin de compléter cette phrase. Pour les nouveaux donc, le repas est constitué évidemment de riz. Celui-ci est accompagné d’un plat de viande de bœuf et de porc sans aucun autre ingrédient (à part du sel) C’est très gras. Quand je dis gras, c’est que les morceaux de viande, dont de gros morceaux de lards, baignent dans l’huile. En général, les invités mangent par village (comme c’est impossible que tout le monde mange en même temps)

Le famadihana proprement dit se déroule au second jour où tout le monde se donne rendez-vous directement autour du caveau familial. La famille (surtout les femmes) des défunts à retourner se parent des mêmes robes et des mêmes chapeaux. Ce sont les « zana-drazana » Elles se distinguent des autres personnes présentes dans la foule.

Avant de vous donner des hauts les cœurs, sachez que les corps sont solidement emballés dans plusieurs couches de linceuls avant l’enterrement. Du coup, lors de l’exhumation rituelle, il n’est pas du tout question de chairs desséchées éparpillées ou d’ossement à déplacer un à un. Non! Le corps est bien enveloppé dans des linceuls un peu jaunis, mais « en un seul morceau » D’ailleurs, les linceuls jaunissent simplement sans se déchirer avec le temps s’ils sont de bonne qualité.

Alors, après des « kabary » et des rites que je préfère ne pas détailler parce que je n’en ai aucun souvenir (au fait, je vous relate ici les festivités auxquelles j’ai assisté dans mon enfance) les corps sont sortis du caveau. C’est le famongarana. Ils sont déposés et enroulés dans des nattes puis portés par leur famille. C’est avec joie et allégresse que celle-ci lui fait faire le tour du caveau (toujours avec le musique de la fanfare) Les familles s’assoient ensuite à même le sol, avec leur défunt sur les genoux. C’est le moment de le recouvrir d’un nouveau linceul. Les mamans retrouvant leur enfant décédé trop tôt en profiter pour les embaumés de parfum. Certains ne se retiennent pas de pleurer à la vue du corps d’une maman qui s’est suicidée, d’un petit frère mort noyé, d’un enfant décédé à la suite d’une maladie inconnue…

©Hery Zo Rakotondramanana

L’exhumation rituelle coûte très chère aux familles. Frères et sœurs, oncles et tantes, grand-parents…etc. se cotisent pour prendre les frais en charge. Et pour participer, les invités préparent une enveloppe et la famille tient un cahier des comptes en bonne et due forme. Le montant contenu dans chaque enveloppe et le nom des familles invitées sont gardés à l’écrit pour le « atero ka alao »  Cela consiste à recevoir quand on organise une exhumation rituelle et à donner quand les invités inviteront à leur tour.

Je vous invite à regarder les albums Famadihana through my lenses de Hery Zo Rakotondramana et Famadihana us et coutumes malagasy de Chronowizard sur Flickr.

Je vous parle ici des traditions du Nord-ouest de Tananarive (Hauts-plateaux, ethnie Merina), mais je sais que cela ne se passe pas de la même façon ailleurs. L’ethnie Betsileo a par exemple d’autres coutumes (enfin je crois) Je rappelle que ce que je dis relate ce que j’ai vécu et n’a pas de valeur historique ou culturelle officielle. Que ceux qui ont des informations complémentaires ou des remarques se manifestent pour éviter les malentendus. 

27 réflexions sur “Famadihana, exhumation rituelle ou … retournement des morts

  1. Je suis Betsileo (:p) et nous, on ne fait pas le famadihana à proprement dit (ensuite, je ne sais pas si c’est juste la famille ou si ce sont vraiment les Betsileo qui ne le font pas). Ce dont je me souviens c’est qu’on a fait les mêmes rites que ceux que tu décris là quand on a fini de construire un nouveau tombeau familial et qu’on a déplacé quelques-uns de nos ancêtres de l’ancien tombeau vers le nouveau. Mais c’est tout pareil. On leur a mis de nouveaux linceuls et on a tourné sept fois autour du tombeau avec eux avant de les remettre dans leur demeure 😀
    Et si mes souvenirs sont exacts, c’est à l’occasion de nouveaux enterrements qu’on remet de nouveaux linceuls pour les autres. Mais après tout, je pense qu’on ne le fait pas vu que cela s’est déroulé il y a une vingtaine d’années et que depuis, on n’en a pas encore refait :hum:

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    • Mes grands-parents et la famille du côté de ma mère pratiquent l’exhumation, mais pas du côté de mon père (parce que c’est interdit dans La Bible) La famille de mon mari ne le pratique pas non plus, mais profite des enterrements pour remettre de nouveaux linceuls. Ce que je raconte là, je l’ai vécu aussi il y a 20 ans ou quelque chose comme ça. Et je n’étais plus sûre des 7 tours, mais je vois que c’est vraiment ça. Et merci pour ton article en commentaire. Si tu as la confirmation que les Betsileo ne font pas d’exhumation rituelle, je modifie l’article 😀

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  2. Ping: Leurs ancêtres les Gaulois | Tsiahy

  3. Pour l’article en commentaire 😆 j’ai juste fais un renvoi (dans mon article) sur ton article qui explique plus en détails le famadihana (mais tu peux enlever, l’article en commentaire paraît incongru et ressemble à un spam :lol:)
    Mais les Betsileo de Fandriana sont connus pour faire de grands et assez réguliers famadihana 😉

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  4. je trouve ça beau le geste de prendre autant soin des défunts, car en France je trouve qu’on a trop tendance à les oublier une fois qu’ils sont enterrés ou dispersés…
    ton article est fascinant, je ne connaissais pas du tout le rituel malgache. merci pour la découverte 🙂
    je sais qu’au Sri Lanka il y a des rituels aussi, tu m’as donné envie d’aller interroger mes amis là-bas pour savoir !
    bonne soirée m’dame, des bises 🙂

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    • Mais je t’en prie Isa. Je parlerai d’autres rituels traditionnels prochainement 😛 Bienvenue sur mon blog. Je viens de faire un tour sur le tien. Il est super intéressant

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  5. un beau rituel. de nombreuses civilisations ont l’habitudes d’honorer les morts et les ancêtres: les indiens, les asiatiques….. par rapport à nous métropolitain qui les oublions une fois enterrés, sauf à la Toussaint (qui je trouve est devenue une fête commerciale plus que religieuse).
    En Martinique, les familles se déplacent sur les tombes des disparus et font des grands pique nique, afin de communiquer avec leurs morts. J’y ai assisté une fois, c’est assez impressionnant le sentiment de « communication » qui s’en dégage. Mon amie malgache rentre de Majenga cette semaine, je lui demanderai si çà se fait par chez elle.

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  6. Je ne connaissais pas ce rituel : effectivement en France, nous n’avons pas ce genre de rituels, notre relation à la mort et aux défunts étant complètement différente.

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    • Oui, c’est sûr. C’est pour ça que beaucoup de touristes sont « dégoutés », mais cette impression change évidemment une fois qu’on explique le pourquoi du comment. Parce que dès qu’il est question d’exhumation, on pense immédiatement à des trucs sordides 😛

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  7. Je ne découvre que maintenant ce blog 🙂 C’est toujours fascinant de découvrir la réactions de personnes d’autres cultures à la découverte de cette pratique …. En passant, merci d’avoir illustré ton billet avec mes photos

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  8. J’arrive de Madagascar où j’ai vécu trois belles années en découvrant beaucoup de richesses culturelles. J’ai eu le bonheur de participer à trois Famadihana et c’est tout à fait ce que tu écris. Misaotra bertsaka ! Je suis très curieuse de comprendre mieux les coutumes, très belles, et peut-être certaines à réajuster parfois en raison de l’évolution de la société. Dommage que le fihavanana perdent un peu de sa force car il me semble qu’il donne de bons repères pour notre vie en société. Si une fois ou l’autre, tu peux en parler davantage, je serais très intéressée. Merci beaucoup. Marie-Madeleine

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    • Bonjour Marie-Madeleine et merci de ce commentaire. Ok, je prends note de ta suggestion et je n’hésiterais pas à mieux en parler dès que l’inspiration vient.

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  9. Bonjour,

    Je collecte actuellement des informations dans le cadre d’un reportage sur le thème de la Famadihana à Madagascar. Je recherche des intervenants locaux qui pourraient nous faire découvrir ces traditions.
    Savez-vous à qui je peux m’adresser ? En particulier connaissez vous un « mpanandro »?

    Merci à vous,

    Cordialement,

    Chloé Rochereuil

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  16. Anay betsileo avy any Fandriana. Pour nous ça reste toujours, en tout cas dans ma famille, et ça continue. Effectivement comme c’est que vous avez trouvé et c’est vraiment ça le Famadihana. J’espère encore à l’assister un jour. En tout cas je l’aime car c’est ma culture.

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